Ma chère Maman,

Ce matin Tu m'as donné une fleur qui signifie "La conscience tournée vers la Lumière supramentale¹". Qu'est-ce que cela veut due? Je ne le comprends pas.

Aujourd'hui je T'ai priée avec mon corps pendant huit heures.

 

Si tu remplaces "supramentale" par "Divine" est-ce que cela devient plus clair pour toi ?

Cela veut dire la conscience qui n'est pas remplie par les activités et les influences de la vie ordinaire mais qui se concentre dans une aspiration vers la lumière, force, con- naissance, joie divines.

Comprends-tu maintenant ?

Le 23 mars 1933

 

Ma chère Maman,

As-Tu vu aies petites rosés sur Ta robe? Sont- elles jolies ?

 

C'est tout à fait charmant ! Il est impossible de dire quel est l'original et quelle est la copie, et peut-être bien que la copie est encore plus jolie que l'original. Tu as vu que je portais la robe ce soir quand je suis allée me promener sur le toit.

 

Ma chère Maman,

Aujourd'hui je T'ai priée avec mon corps pendant neuf heures.

Maman, depuis deux jours, je sens un peu de fatigue, mes mains sont devenues un peu lentes.

 

¹Nom donné par ta Mère à un tournesol jaune orange (Helianthus).  

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Ne crois-tu pas que tu ferais bien de prendre un peu de repos ? C'est-à-dire, ou de prendre un jour complet de repos, ou de diminuer de deux heures les heures de travail ?

Le 13 avril 1933

 

Ma chère Maman,

Non, je ne veux pas prendre de repos. Aujourd'hui je T'ai priée avec mon corps pendant dix heures.

 

Alors sers-toi de la méthode Coué¹ et répète : "Je ne suis pas fatiguée, je ne peux pas être fatiguée car je suis protégée !"

Le 14 avril 1933

 

Ma chère Maman,

Oui, aujourd'hui X m'a dit que ce soir ce cadre sera tout à fait prêt. Aujourd'hui j'ai travaillé pendant neuf heures sur le corsage.

 

Petit sourire, il ne faut pas aller Jusqu'à la fatigue.

Le juin 1933

 

Ma chère Maman,

Non seulement je travaille toute la journée mais je veux le faire autant que possible avec l'espoir que je ne me fatiguerai pas. Si je ne travaille pas toute la journée et tous les jours, comment pourrai-je faire tant de belles et grandes choses que je veux faire pour ma chère, chère Maman ? Comment s'accompliront mes rêves si je perds mon temps ?

Maman, sais-Tu? Je vais broder de grands rideaux pour Ta chambre.

 

¹Émile Coué (185Ï-1926) : psychothérapeute français auteur d'une méthode de guérison par auto-suggestion.  

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 Tu m'avais dit une fois que les Japonais couvrent les murs de leurs chambres avec des rideaux tout brodés.

 

Tu as raison, rien n'est meilleur et ne rend plus fort et plus heureux que de réaliser ses plus beaux rêves !

Le 11 juin 1933

 

Ma chère Maman,

Maman, sais-Tu ? C'est moi qui avais repassé ces deux corsages sans les abîmer; c'est la première fois que J'ai repassé un corsage. Maman, donne-moi un "bravo". Demain Je vais commencer l'autre corsage gris.

 

Cela vaut beaucoup plus qu'un "bravo" ! Ce matin J'étais littéralement en admiration. C'est magnifique, les oiseaux sont si beaux et si vivants ; j'ai trouvé leur petite tête avec la Jolie petite aigrette d'argent, bien jolie, beaucoup plus jolie que sur le dessin original. Les petits diamants aussi sont très bien et en argent sur le sârî ce sera magnifique. Où as-tu repassé P C'est bien que tu apprennes.

Le 21 juin l933

 

Ma chère Maman,

Ce matin j'ai coupé une chemise pour Toi, c'est la première fois que je cou[e une chemise. X va lacoudre et quand elle sera prête. Tu la mettras et puis Tu me diras si elle est bien coupée ou non. Parce que si elle est bien coupée, je pourrai couper d'autres choses sans aucune hésitation.

Aujourd'hui aussi j'ai travaillé pendant toute la journée.

 

Je suis très contente que tu aies appris à faire cela aussi. Que veux-tu dire par "pendant toute la journée" ? 

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 J'espère que ce n'est pas plus de neuf heures, parce que cela était déjà un grand morceau et ne peut pas être augmenté.

Le 26 juin 1933

 

Maman

Depuis ce matin j'ai mal à la prunelle de mon œil gauche.

 

Il faut se baigner l'œil avec de l'eau boriquée bien chaude, trois fois par jour; et faire moins de broderie pendant deux ou trois jours. Fais bien ce que je te dis et souviens-toi que ton travail dépend presque exclusivement de tes yeux. Si tes yeux s'abîmaient d'une façon quelconque, fini les belles broderies !... Quand tu as mal, ferme les veux pendant quelques minutes en les couvrant avec les paumes de tes mains (sans presser). Tu verras, cela repose beaucoup,

Le 27 juin 1933

 

Ma chère Maman,

Je crois que toute la peine que j'ai prise pour X a été vaine. J'ai passé presque deux heures ce soir à lui faire comprendre comment écrire les choses très clairement. Mais en vain.

 

La peine que l'on se donne ainsi pour quelqu'un d'autre n'est jamais en vain. Le résultat peut ne pas apparaître immédiatement, mais, un jour ou l'autre, un acte désintéressé porte ses fruits.

Le 26 juillet 1933

 

Ma chère Maman,

Je Te raconterai comment je passe généralement

Après T'avoir vue monter sur la terrasse je vais prendre mon repas; puis je reviens chez moi et je T'écris ta lettre, puis quelquefois je lave notre linge (celui de X et le mien ; quelquefois X le lave).  

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Puis je marche pendant une heure, puis généralement je prépare ma leçon et je vais me coucher.

Mais hier soir après avoir fini de marcher, c'est-à-dire à neuf heures et demie, j'ai aidé X à coudre à la machine jusqu'à dix heures un quart. Puis j'ai travaillé à la machine jusqu'à minuit moins le quart; puis j'ai étudié un peu mes leçons et à minuit et demie je suis allée me coucher.

Aujourd'hui j'ai travaillé à mon corsage pendant trois heures.

 

Il ne faut pas prendre l'habitude de te coucher tard comme cela. Ce n'est pas bon — tu aurais vite fait de t'abîmer les yeux, et alors ce serait fini des belles broderies. Les nerfs aussi se fatiguent et on n'a plus la main sûre et le geste précis, on perd sa patience et sa tranquillité et le travail que l'on fait n'est plus soigné et exact ; tout devient un "à peu près" et il faut renoncer à atteindre aucune espèce de perfection. Je ne pense pas que ce soit ce résultat que tu veuilles obtenir !

Le 31 juillet 1933

 

Ma chère Maman,

Aujourd'hui 15 août je n'ai pas travaillé; je vais recommencer à partir de demain.

 

Je pense que tu as été fière aujourd'hui de voir ton superbe sârî ; il est vraiment royal et, moi, j'ai été fière de mon petit sourire et de son beau travail !

Le 15 août 1933

 

Ma chère Maman,

J'ai commencé à fixer le sari sur le cadre à broder et demain ce travail sera fini. Ensuite je commencerai la broderie.

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Je n 'ai rien d'autre à T'écrire. Je n 'ai que des nouvelles de mon travail à Te donner.

 

Tu es bien travailleuse et appliquée, et si tu n'as rien à me dire excepté des nouvelles de ton travail, moi j'ai à te dire toute mon affection pour mon petit sourire chéri.

Le 22 août 1933

Ma chère Maman,

Aujourd'hui aussi j'ai travaillé pour fixer le sârî sur le métier, mais j'ai vu que le sârî n 'était pas tout à fait droit. Alors je n'ai qu'à défaire ce travail — qui m'a pris trois jours — pour le faire mieux.

 

C'est bien ennuyeux pour toi, mon cher petit sourire ! Mais tout à fait à l'image de la vie où il faut constamment défaire ce qui est fait afin de le refaire mieux.

Le 24 août 1933

 

Ma chère Maman,

Je ne sens pas que je travaille ; je joue seulement comme un enfant toute la journée avec mes merveilleux joujoux que Tu m'as donnés pour jouer toute la journée, je ne sais pas comment écrire d'une autre façon et c'est pourquoi je T'écris "j'ai travaillé" au lieu de "j'ai joué".

Maman, ce sârî que Tu as mis aujourd'hui est, je crois, ma "finest" broderie, ne crois-tu pas ?

 

C'est une œuvre d'art. Elle est simplement splendide. J'ai l'impression d'être vêtue de lumière.

Le 1er septembre 1933

 

Ma chère Maman,

Je travaille sur le sari gris. Quoi d'autre ? Que puis-je T'écrire ?  

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Juste un mot suffit pour garder le contact, et quand tu as quelque chose d'intéressant à me dire, il faut le dire.

Le 16 octobre 1933

 

Ma chère Maman,

Maman, Tu as beaucoup de travail; je ne veux pas prendre Ton temps...

 

Comme tu veux, mon petit sourire ; je suis très occupée, c'est vrai, mais je me serais arrangée pour te donner quelques minutes. Tu es gentille de penser à ne pas augmenter inutile- ment mon travail ; il n'y en a pas beaucoup comme toi.

Le 13 novembre 1933

 

Maman,

Aujourd'hui j'ai travaillé très peu.

 

Tu as joliment bien fait !

Une grande promesse est venue d'en haut pour toi hier¹, la promesse que tu seras libérée de toutes difficultés et que ton mental deviendra lumineusement paisible et ton cœur tranquillement satisfait. As-tu senti quelque chose ?

Le 25 novembre 1933

 

Ma chère Maman,

Après le Darshan j'étais heureuse et tranquille. Dans l'Ashram, j'ai vu X et Y, et nous tous parlions joyeusement. Y m'a demandé  "Qu'avez-vous fait ?" je n'avais rien à dire, alors je lui ai demandé : "Et vous? Qu'avez-vous fait ?" Puis elle a dit: "Cette fois, je suis restée très longtemps, Sri Aurobindo avait posé sa main pendant longtemps", et ainsi de suite. Puis X aussi disait :

 

¹Le 24 novembre, jour de Darshan. Chaque année, lors des trois jours de Darshan (quatre par la suite!, les sâdhaks étalent admis en la présence de Sri Aurobindo et de la Mère pour recevoir leurs bénédictions.

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"Cette fois, moi aussi je suis restée un peu plus de temps, deux ou trois minutes".

Il était l'heure de déjeuner, alors nous sommes allées prendre nos plats. Je suis allée la première dans la salle à manger et j'ai pris ma place: il y avait deux places de chaque côté de moi. Je pensais que X s'assiérait d'un côté et Y de l'autre côté. Mais après moi Z est venue avec son plat et elle s'est assise avec moi; alors je lui ai dit de s'asseoir à'une autre place et elle s'est mise en colère contre moi. À ce moment, X et Y sont venues avec leurs plats et elles ont vu que Z était en colère contre moi; elles ne se sont pas assises avec moi. J'étais très peinée qu'elles ne se soient pas assises avec moi.

 

Ne te tourmente pas, mon petit sourire, le tout est venu pour t'apprendre qu'en ces occasions, après avoir eu la Joie de recevoir la bénédiction de Sri Aurobindo, il vaut mieux se concentrer et garder sa joie enfermée en soi-même plutôt que de la jeter au-dehors en se mêlant et en pariant aux autres. Les expériences dont on parle s'évaporent et on perd le bénéfice de ce qu'elles pouvaient nous apporter.

Le 26 novembre 1933

 

Pauvre petite X est devenue toute triste... Es-tu si sérieuse avec elle ?

Le 27 novembre 1933

 

Maman,

Je ne suis pas fâchée contre X. J'essaye fou/ours de rester silencieuse, alors je ne parle que de choses importantes avec elle et avec les autres, c'est-à-dire que si elle me demande quelque chose, je lui réponds et je lui montre le travail à faire.

Maman, je veux et j'essaye de garder Ta Présence à chaque instant. J'aspire vers Toi; je Te veux toujours, toute la journée, toute la nuit. Je veux vivre toujours dans 'Von cœur, où je peux vivre constamment avec X et avec tous ceux qui T'aiment.  

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J'ai remarqué que je ne peux sourire à personne quand je suis concentrée, ou plutôt que j'essaye de me concentrer et si j'essaye de sourire c'est comme si je souriais superficiellement.

Maman, ce matin j'ai voulu dire tout cela à X; mais mes lèvres résistent, elles ne veulent pas sourire.

Maman, est-ce bien ou mal de ne pas pouvoir parler comme cela ? Je veux le savoir, parce que si cela n'est pas bon Je ne le veux pas; je parlerai comme auparavant.

 

C'est très bien d'être silencieuse et concentrée dans ton aspiration; et je suis sûre que si tu gardes dans ton cœur une grande affection pour X, elle la sentira et ne sera plus du tout triste. Mais, bien entendu, si tu sens que tu peux lui expliquer gentiment ce qui se passe en toi, ce sera tout à fait bien.

Le 28 novembre 1933

 

Maman,

Tu continues à me donner de belles promesses et je continue à leur résister. Alors comment puis-je être toujours heureuse ?

 

Il ne faut pas se faire de souci, cela n'aide pas à la réalisation des promesses, et aussi être patiente. Dans ce monde physique les choses prennent du temps pour se réaliser.

Le 12 décembre 1933

 

Maman,

Une fois Sri Aurobindo m'avait écrit quelque chose où il y avait quelques mots que je ne pouvais pas lire. j'ai demandé à X de les lire, puis il m'a dit :  

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"Vous êtes l'enfant de Mère, pas de Sri Aurobindo- " (C'était seulement une plaisanterie, parce que je peux lire Ion écriture et je ne ceux pas lire celle de Sri Aurobindo.)

 

Ne crois-tu pas que lorsque l'on est l'enfant de Mère, on est en même temps l'enfant de Sri Aurobindo et réciproquement.

Le 16 décembre 1933

 

Ma chère Maman,

Hier et aujourd'hui j'ai travaillé toute la journée sur le "sârî des iris". J'aime beaucoup travailler pour Toi. Maman, je ne sais quoi écrire. Je n 'ai rien à dire.

 

Cela suffit ; tout ce que Je veux c'est que nous échangions un petit "bonjour" tous les jours. Quand tu auras quelque chose de spécial, d'important ou d'intéressant à m'écrire, tu me l'écriras.

Tendresses.

Le 18 décembre 1933

 

Ma chère Maman,

Aujourd'hui aussi j'ai travaillé toute la journée sur le sârî • je ne T'écris pas pendant combien d'heures je travaille parce que si je T'écris "j'ai travaillé pendant dix- heures". Tu m'écris "c'est formidable"!

 

Tu es une enfant courageuse et énergique.

Tendresses.

Le 19 décembre 1933

 

Ma chère Maman,

Les fleurs "iris" sont très belles. Maman, que signifient-elles ?  

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"L'aristocratie de la beauté". C'est une fleur noble qui se tient tout droit sur sa tige. Sa forme a été stylisée pour faire la fleur de lis, emblème des rois de France.

Le 23 décembre 1933

 

Maman,

Aujourd'hui aussi j'ai travaillé toute la journée sur le corsage. Toute mon affection pour mon laborieux petit sourire.

Le 29 décembre 1933

 

Ma Maman,

Qu'écrire ? Aujourd'hui j'ai travaillé sur le sârî.

 

Que dire ? que je suis toujours avec toi dans ton travail et ton repos, ton sommeil et ta veille.

Affectueusement.

Le 3 janvier 1934

 

Ma chère Maman»,

Hier en repassant le corsage je l'ai brûlé en quelques endroits.

Je ne m'en suis pas aperçue. Cela ne doit pas être grand- chose. C'est pour cela, sans doute, que tu avais un air si sérieux au pranâm ce malin ? Il ne faut pas se tourmenter pour de si petites choses.

Tendresses.

Le 31 janvier 1934

 

Je serai toujours avec toi, ma chère petite enfant, dans la lutte et la victoire.

Le 13 janvier 1934

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Maman,

Aujourd'hui j'ai travaillé sur le sârî pendant neuf heures.

 

Alors le travail doit avancer très vite- Tu as une merveilleuse capacité pour le travail, mon cher petit enfant.

Le 18 janvier 1934

 

Ma chère petite enfant, pourquoi pleurais-tu si fort ce matin au pranâm ? J'étais si peinée de ne pouvoir te consoler. Ne veux-tu pas me dire ton chagrin pour que je l'efface si possible ? Tu sais que toute ma tendresse est avec toi toujours, ainsi que ma meilleure volonté de t'aider à travers tes difficultés.

Le 24 janvier 1934

 

Maman,

Aujourd'hui aussi j'ai travaillé toute la journée sur le sâri. Quelquefois je deviens une enfant méchante: n'est-ce pas, Maman ?

 

Pas méchante, pauvre petite, un peu triste seulement, et cela m'afflige car je voudrais te voir toujours pleine de lumière et de Joie.

Le 26 janvier 1934

 

Maman,

Je sais, il y a aussi de belles choses dans mon tout petit cœur. il y a aussi de mauvaises choses (Tu sais Maman, je Te les avais racontées).

Mais ce tout petit cœur est plein d'amour. Maman, nous allons brûler toutes les mauvaises choses dans ce petit cœur. Alors, dans mon cœur, il n'y aura qu'un amour très, très suave pour Toi seule.

 

C'est très joli ce que tu as écrit la et c'est très vrai aussi. 

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Les belles choses sont beaucoup plus fortes que les vilaines et remporteront sûrement la victoire. Je suis avec toi, toujours, dans la lutte et dans la victoire.

Le 29 janvier 1934

 

Maman,

Ce matin X m'a montré le corsage rosé qu'elle a brodé tout en fils d'argent. Il est très très beau, ce corsage. Le sârîaussi sera le plus beau sârî dans la collection de tes saris brodés par nous.

Avant de voir le corsage de X, je pensais que mon sârî. "oiseau de paradis¹" était un très beau sârî; mais après avoir vu ce corsage, je trouve que ce sârî "oiseau de paradis" n'est rien en comparaison de celui sur lequel X travaille en ce moment.

 

Ceci n'est pas exact, chacun a sa "beauté et son style particulier. L'oiseau de paradis est un très beau sârî.

 

Ce corsage est vraiment le plus beau corsage.

 

Je ne peux pas dire si c'est le plus beau ou non, chacun des sârîs brodés a sa beauté à lui, mais c'est vrai que ce corsage est très beau.

Le 30 janvier 1934

Maman,

Je T'avais dit une fois que si quelqu'un fait une jolie chose pour Toi nous devons être heureux — n'importe qui, moi ou une autre ; je veux dire qu'en voyant une chose très belle que quelqu'un a faite pour Toi, on doit être très heureux, et tous ceux qui aiment ma Douce Maman seront naturellement heureux.

 

¹Nom donné par la Mère a la fleur Heliconia metallica.

 

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Sais-Tu que lorsque j'ai vu ce corsage de X, j'ai senti quelque chose, comme si une autre personne avait fait une chose plus jolie que ce que je fais.

Maman, je sais pourquoi j'ai senti comme cela. Jusqu'ici j'avais en moi une sorte d'orgueil pour mes oeuvres : "Je fais de plus belles choses qu'aucune autre personne ici", quelque chose comme cela. Et c'est pourquoi quand j'ai vu une chose très belle faite par une autre personne, mon orgueil a reçu un joli coup assez, fort. N'est-ce pas vrai ? (Maman, sa je me souviens d'une phrase, une fois j'ai entendu Y dire à quelqu'un : "Mère sait donner des coups. ")

 

Je t'assure que ce n'est pas volontairement que je donne le coup.

 

Maman,

Pourquoi toutes ces sottises en moi? Je n'en veux pas. Elles sont en moi depuis assez longtemps. Et maintenant je n'en veux plus. Je ne me reposerai pas, jusqu'à ce que Tu viennes dans mon cœur et y demeure éternellement.

Ma Maman, donne-moi dans mon aspiration la pureté et la constance.

 

Certaines conditions en nous (et l'orgueil est l'une d'elles) appellent automatiquement les coups des circonstances environnantes. Et c'est à nous de nous servir de ces coups pour faire un progrès de plus.

Tu as raison de vouloir que toutes ces petitesses et ces sottises disparaissent. Je suis pleinement avec loi dans cette volonté et je suis sûre que tu triompheras.

Le 31 janvier 1934

 

Maman,

Aujourd'hui je n'ai rien à écrire. Comme toujours, aujourd'hui aussi j'ai travaillé toute la journée.  

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J'espère que ce mois qui commence t'apportera la réalisation que tu désires : un calme heureux, une paix invariable, un silence lumineux.

Tel est mon vœu et ma bénédiction.

Le ler février 1934

 

Maman,

Je Te capturerai dans mon cœur.

Je n'as pas besoin de penser à la paix et à la félicité. Quand Tu demeures dans nos cœurs, ces choses sont inévitables.

 

Tu n'auras pas loin à aller pour me saisir, car je suis déjà dans ton cœur et dès que tes yeux s'ouvriront tu m'y verras ; tourne ta faculté de sentir vers le dedans au lieu de la laisser se projeter vers le dehors, et tu sentiras ma présence de façon aussi concrète (plus même) que tu sens le froid et la chaleur.

Le 2 février 1934

 

Ma maman bien-aimée,

Tu es déjà dans mon cœur, c'est vrai; mais ce que je veux, moi, c'est être toujours avec Toi. N'est-ce pas ? Mais je ne sais pas comment ouvrir mes yeux, ils sont toujours ouverts sauf quand je dors.

 

Je parle des yeux intérieurs, pas des yeux physiques.

 

"Tourne ta faculté de sentir vers le dedans au lieu de la laisser se projeter vers le dehors. " Maman, quand je sens quelque chose, je le sens dans mon cœur (et je crois que tout le monde sent dans son cœur). Je ne sais pas comment sentir en dehors. Je ne comprends pas ce que Tu veux dire par "dehors".  

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Je veux dire qu'au lieu de vivre dans les perceptions des organes des sens qui sont exclusivement occupes des choses extérieures, il faut se concentrer dans l'être intérieur qui a une vie indépendante des organes des sens (vue, ouïe, odorat, goût, toucher).

Le 3 février 1934

Maman,

Pourquoi ne m'as-Tu pas renvoyé la lettre (écrite par Toi pour moi) que je T'ai envoyée ce matin avec ma lettre ? Je veux me coucher sur Tes genoux, maman.

 

Pauvre petit, je te prends bien volontiers sur mes genoux et te berce sur mon cœur pour consoler ce gros chagrin qui n'a pas de cause et apaiser cette grande révolte qui n'a pas de raison. Laisse-moi te prendre dans mes bras, te baigner dans mon amour et effacer jusqu'au souvenir de ce malheureux incident. J'ai gardé la lettre pour la montrer à Sri Aurobindo en même temps que ta lettre de ce matin. Je te la renvoie dans ce cahier.

Le 27 février 1934

 

Non, ma chère enfant, je suis sûre de ne pas t'avoir dit que tu voulais me cacher quelque chose. Lorsque, sous la pression que je mettais en méditation sur toi pour calmer l'agitation de ton mental et de ton vital, tu as commencé à pleurer, j'ai pensé que peut-être cela te soulagerait de me dire la cause de ton  chagrin, et quand tu ne m,as pas répondu, je t'ai simplement demandé si tu ne voulais pas parler, afin de ne pas insister inutilement. Tu t'es trompée si tu as cru que je montrais du déplaisir,

Tu t'es malheureusement renfermée en toi-même depuis quelque temps et c'est cela qui fait que je ne puis pas t'aider autant que je le voudrais.

Affectueusement.

 

Le 7 juillet 1934

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Ma chère enfant, c'est certainement une façon très inattendue de comprendre cette vision- Je ne lui avais pas du tout donné ce sens. Les images de ces visions sont toujours symboliques et il faut les prendre pour telles.

Les rochers représentent la nature matérielle dure et peu plastique mais qui recèle au-dedans d'elle le flot de la vie. À cause de la résistance de la matière, ce flot de vie se libère avec difficulté et peut à peine émerger à la lumière, Mais avec un peu de concentration et d'insistance, la résistance de la matière diminue et les forces vives sont libérées. Cette image s'applique pour ainsi dire à tout le monde, mais dans le cas présent elle te concernait puisque tu étais présente, et je l'ai prise pour une promesse que tes difficultés céderaient et que tu pourrais bientôt émerger dans une conscience lumineuse libre et heureuse.

Avec ma tendresse.

Le 11 juillet 1934

 

Maman,

Dix yards de l'étoffé ont coûté 25 roupies 15 annas. C'est-à-dire 2 roupies 9½ annas pour 1 yard. Je T'envoie 4 roupies 1 anna. Ce soir nous (X et moi) avons teint la grande pièce d'étoffé de 10 yards. Mais ce n'est pas réussi, le teinture est inégale avec des endroits foncés et des endroits pâles. Tu le verras demain matin.

 

Ma chère enfant, je ne t'ai pas répondu de suite parce que je voulais voir l'étoffé d'abord. Il y a, en effet, des inégalités mais cela ne me semble pas irréparable- Je ne crois pas qu'il serait bon de la reteindre. Elle deviendrait trop foncée. Mais nous pouvons prendre les irrégularités pour des mouvements de l'eau et les souligner avec un fin fil d'or, alors cela aura l'air d'être fait exprès et ce sera encore plus joli. La prochaine fois que je te verrai je te montrerai exactement ce que je veux dire. Ne te tourmente pas. Ce sera tout à fait bien. Tu peux commencer ton travail dès maintenant.

Le 6 septembre 1934

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Maman,

Maintenant je n'ai pas envie défaire les poissons. Je les ferai dans cinq ans.

J'aimerais mieux commencer le sârî vert avec les dragons d'or et d'argent, pour le 21 février 1935, si Tu demandes a quelqu'un de faire le dessin. Parce que l'étoffé verte et le fil d'or et d'argent sont prêts.

je suis désappointée, je ne peux pas faire les poissons maintenant.

 

Tu peux demander à X s'il veut te faire un dessin de dragons.

Le 7 septembre 1934

 

Tu es mon périt enfant et tu seras toujours mon petit enfant, ceci est un fait certain.

Mais quand les petits enfants se montrent déraisonnables, il est très difficile de parler raison avec eux. Maintenant si tu veux que je te dise toute ma pensée, la voici : Y s'est donné beaucoup de peine et a fait un très beau dessin, une belle étoffe a été achetée et a coûté 30 roupies, toi et Z vous vous êtes données beaucoup de peine pour la teindre, J"e te dis que j'ai trouvé un moyen pour utiliser les inégalités de teinture et faire un sârî beaucoup p!us joli encore que nous ne pensions, et sans raisonner, tu m'écris dans un mouvement de mauvaise humeur : "Je ne veux plus faire ce sârî. j'en ferai un autre" ; et naturellement j'ai pensé : maintenant je vais avoir à demander à X de se donner du mal pour faire un dessin et si, par hasard, il se présente encore quelque difficulté, cette petite enfant pourra dire encore une fois : "Je suis désappointée, je ne veux pas faire ce sârî", et X aura travaillé pour rien. C'est pour cela que je t'ai dit de lui demander toi-même le dessin. Il vient juste, aujourd'hui même, de m'envoyer le modèle de la couronne des poissons.

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Il est très, très joli. Et si tu veux mon avis, tu commenceras par faire cette couronne et cela te remettra en train pour faire le sârî lui-même, et tu verras que tout sera bien, tout à fait bien. Je t'envoie le modèle de la couronne. Avec ma tendresse.

Le 8 septembre 1934

 

Maman,

Hier soir, quand je suis allée me coucher vers neuf heures et demie, j'ai senti une sorte de peur, comme s'il y avait quelqu'un ou que peut-être quelqu'un viendrait.

J'ai fermé les yeux et, après un instant, dans mon sommeil, j'ai senti une sorte de peur. J'ai ouvert les yeux, J'ai regardé le ciel un moment et mes yeux, se sont refermés. J'ai vu quelque chose comme un nuage qui venait lentement, j'ai ouvert les yeux...

 

Mon cher petit sourire,

Il ne faut pas avoir peur. Si tu vois quelque chose qui t'effraye ou si tu as une sensation désagréable, il faut m'appeler et la chose disparaîtra. Quand tu es éveillée, sûrement tu n'as pas peur d'un nuage d'orage qui approche ; pourquoi cela te ferait-il peur la nuit ?

Mets-toi dans mes bras sans crainte et sois sûre que rien ne peut te nuire. Ma force et ma protection sont toujours avec toi.

Avec mes tendresses.

Le 18 juin 1935

 

Mon cher petit sourire,

Tu as tout à fait raison, et je ne vois pas pourquoi, au lieu de lire des choses intéressantes, vous vous mettriez à faire d'ennuyeux exercices.

Pour apprendre une langue il faut lire, lire, lire — et parler autant que l'on peut. Avec toute ma tendresse.

Le 10 juillet 1935  

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Mon cher petit sourire,

Tu as fort bien décrit ta condition et, puisque tu en es si consciente, il me semble que bientôt tu pourras en devenir maîtresse.

Il va de soi que noire aide est toujours avec toi pour t'apporter la paix et le silence et il est tout à fait sûr que la paix et le silence s'installeront un jour en toi pour ne plus te quitter.

Très affectueusement.

Le 8 août 1935

 

Mon cher petit sourire,

Tu as tout à fait raison. Je préfère de beaucoup un beau sârî brodé à une robe de dentelle. Ce n'est pas une question de nombre ou de besoin. Pendant des années j'ai été parfaitement satisfaite avec deux sârîs par an — mais je suis fière des belles choses que mes chers enfants me font et Je les porte avec affection et joie...

Mes bénédictions et mes tendresses sont toujours avec toi.

Le 10 décembre 1935

 

Maman,

Tu m'avais dit qu'il y a quelque chose de fermé en moi, qui ne s'ouvre pas à Toi, et c'est -pourquoi, même quand je veux sentir Ton Amour dans mon cœur (qui, dis-Tu, est déjà là), Je ne le sens pas. Qu 'est-ce qui est fermé? Mon cœur? Ou quelque chose d'autre ? Moi, je ne comprends pas tout cela.

Moi, je veux qu'il s'ouvre à Toi et que je sente Ton amour toujours là dans mon cœur. Mais si c'est vraiment fermé, comment l'ouvrir? Qu'est-ce qu'il faut que je fasse pour l'ouvrir ? Car vraiment je veux qu'il s'ouvre à Toi et que je me sente heureuse pour toujours.  

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Mon cher petit sourire,

Je ne connais qu'un moyen : se donner — une complète consécration au Divin; plus on se donne, plus on s'ouvre; plus on s'ouvre, plus on reçoit ; et c'est clans l'intimité de ce don de soi que i'on peut devenir conscient de la Présence intérieure et de la Joie qu'elle apporte.

Tendresses de ta Maman.

Le 25 juillet 1936

 

Maman,

Pour Te dire les choses clairement, je ne me sens pas heureuse quand j'entends ou quand quelqu'un me raconte ses belles et heureuses expériences avec beaucoup de joie c'est là que je me sens si pauvre ; je sens que je n 'ai pas encore en moi ce que je dois

Et je Te demande toujours le silence et la paix (comme je Te l'avais raconté l'autre jour) car je sais que si l'on peut garder toujours ce silence et cette paix, jamais, on ne se sent si pauvre, pour aucune raison.

Je ne veux pas être, je ne veux pas me sentir si pauvre.

 

Cette expérience de la paix et de la joie silencieuse, tu l'as déjà eue, tu sais ce que c'est et elle est sûre de revenir plus forte et plus stable. Garde confiance, ne te tourmente pas, ainsi tu hâteras sa venue.

Tendresses de ta Maman.

Le 30 juillet 1936

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Maman,

Je trouve que j'ai tout perdu.

Tout ce qui était bon en moi, tout est perdu.

Auparavant je sentais toujours que je faisais tout pour Toi : dans tout le travail' que je faisais, ce sentiment de "faire pour Tôt" m'accompagnait toujours.

Maintenant je trouve que j'ai perdu ce sentiment...

 

Mon cher petit enfant,

Es-tu consciente d'aucune cause à ce changement ? Sûre- ment il y en a une... De plus, pendant ces Jours où l'Ashram est plein de visiteurs¹, il y a une grande confusion qui amène souvent un obscurcissement de la conscience. Il ne faut pas s'en affliger trop et simplement vouloir, dans le calme et la persévérance, que la lumière refasse son apparition. Ma tendresse est toujours avec toi pour t'aider à passer ce mauvais moment.

Affectueusement.

Le 30 août 1936

 

Maman,

Oui, je crois que je connais la cause de ce changement. Est-ce que c'est ça : "le désir d'être admiré par les gens" — l'ego ? Ou quelque chose d'autre ? Si tu sais, Tu me le feras savoir. Il faut que je le sache pour me débarrasser de cela.

 

Oui, mon cher petit enfant, tu as, en effet, bien trouvé ; et, pour une raison, n'est-ce pas que tu as été un peu ennuyée que je ne mette pas tes sans brodés tous ces jours-ci ? La raison n'est certes pas que je n'aime pas les porter, tout au contraire. Mais ils sont un peu lourds et chauds et je préfère

 

¹À l'occasion de l'anniversaire de Sri Aurobindo, le 15 août-  

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les garder pour les mettre de novembre à janvier — une période où il y a toujours beaucoup de monde à cause des vacances et pendant laquelle je porterai Ses sârîs brodés avec le plus grand plaisir puisque la saison est un peu plus fraîche.

C'est vrai qu'il faut se débarrasser de ces mouvements qui sont. ignorants et mesquins ; mais il faut, en même temps, que tu sois certaine que j'apprécie et aime ton travail énormément. J'ai pour ta broderie une grande admiration, et, pour toi, une grande tendresse.

Ta maman.

Le 31 août 1936

 

Mon petit "Sourire éternel" doit continuer à sourire, et à sourire encore plus quand des difficultés se présentent. Les sourires sont comme les rayons du soleil, ils dissolvent les nuages... Et si tu veux le remède radical, le voici : franchise. être absolument franche. Dis-moi tout ce qui se passe en toi sans rien omettre, et bientôt tu seras tout à fait guérie et heureuse.

À mon petit sourire très affectueusement.

Le 6 septembre 1936

 

Mon enfant,

Ne fais pas semblant d'être sotte alors que tu ne l'es pas. Non seulement je n'étais pas fâchée, mais je n'avais pas la moindre intention de paraître fâchée.

J'ai seulement regardé droit dans ton âme en essayant de rétablir le lien entre elle et ta conscience extérieure. Et j'ai pris ton rire pour un signe de conversion !

Méfie-toi de la vanité — elle ne mène qu'à la ruine. Et ne sous-estime Jamais l'amour du Divin, car sans lui rien ne vaut la peine d'être vécu.

Je sais que tu es trop sensée et trop sensible pour ne pas tenir compte de cette vérité.

Affectueusement, toujours.

Le 6 septembre 1936

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Bonne Fête !

 

À [mon petit sourireJ dont l'aide précieuse fait que mes pieds ne se blessent pas sur les pierres du chemin.

Avec ma tendresse et mes bénédictions pour que son aspiration soit réalisée cette année,

Le 6 janvier 1963

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